Le 12 octobre 2000, nous étions à Bienne pour dire adieu à Lucie. Il y avait là quatre générations de sa famille et quelques-uns de ses très nombreux amis dispersés de par le monde. "J'ai l'intuition que quelque part, elle avait senti profondément que Dieu croit en l'être humain ... alors elle y croyait elle aussi, et sa foi en Dieu et en l'être humain l'ont propulsée en avant, toujours en avant sur des chemins d'espérance et de lumière." Ainsi s'exprimait la pasteure qui a présidé le service funèbre. "Elle ne militait pas, elle croyait en Dieu, cette femme qui par ailleurs aimait la vie, la bonne chère, qui aimait la fête et les siens." Qui ne reconnaît Lucie dans ses mots, celle qui durant ses dernières années à Caux accueillait de son grand sourire tant d'entre nous à notre arrivée dans ce grand hall un peu austère.
Je tire quelques passages des notes que Lucie prises au cours de sa vie et que son neveu Max Perrenoud a eu la gentillesse de me confier pour les archives de Caux:
"En 1938, après les rencontres internationales d'Interlaken, armée d'une très fraîche et petite expérience de l'intervention de Dieu dans ma vie, décidée à faire sa volonté, je quitte mon travail que j'aime à Genève (Aide aux émigrés et réfugiés). [... ] Elisabeth [de Mestral] a la conviction que nous devons créer un lien entre tous ceux qui ont décidé de baser leur vie sur des critères moraux absolus.
Nous [Philippe Mottu, Eric Peyer, Koni von Orelli, Hélène de Trey, Ernest Grossmann] avons en moyenne 25 ans. Nos aînés doutent de nos convictions et beaucoup aimeraient nous voir dans le cadre d'une profession, plutôt que visitant nos députés au Palais fédéral. ...Nous commençons à envoyer à 300 amis des nouvelles d'autres pays et de la Suisse. Les 1000.- fr. que j'avais économisés pour m'équiper pour le ski et l'alpinisme fondent en quelques mois.
Nous dormons dans des familles qui nous reçoivent pour de courtes périodes et j'apprends à être pauvre. [... ] L'argent arrive au compte-goutte, mais nous n'en parlons pas et ne demandons rien ... et il y a toujours à la dernière minute assez pour payer le port des 3000 lettres que nous transportons à la poste sur un petit char!" Christine Jaulmes, journaliste, Paris Avec Lucie, le côté parfois austère du réarmement moral prenait d'autres couleurs. A l'entendre raconter sa vie, on réalisait que cela pouvait être une aventure étonnante, pleine de fantaisies, de dynamisme, de surprises, de joie. Oui, Lucie était une aventurière et elle donnait le sentiment que rien ne pouvait l'arrêter ... Même âgée, quand je l'ai connue, elle gardait cet esprit.
En 1991, elle avait fait don à un groupe d'entre nous permanents qui vivions en communauté à Genève, de sa Mazda bleue, à laquelle elle était pourtant très attachée. Elle réalisait que sa vue l'empêcherait désormais de conduire, mais nous savions que cela représentait un réel sacrifice pour elle et nous lui en avons été très reconnaissants. Avec sa Mazda, nous avons parcouru les routes d'Europe, de la Roumanie à l'Allemagne, et cela a créé un lien spécial entre nous.
LUCIE PERRENOUD 1913-2000 Carmen Vives, infirmière, Espagne Sous ton aile, j'ai fait mes premiers pas à Caux et de toi j'en ai appris le message. Il est entré dans ma vie comme une douce brise, un airfrais et propre qui a renouvelé mes forces et mon courage dans ces moments critiques etfatigants qui se présentent à certaines étapes de notre vie. Après la guerre, Lucie est de ceux qui vont voir le Caux Palace afin de le louer pour une conférence internationale. "Il fallait du courage, et plus que cela, dira Daniel Mottu lors du service religieux. L'histoire raconte que lorsque Lucie et une petite équipe prit possession de l'ancien immeuble du Caux Palace, le I" juin 1946, il pleuvait. Le grand hall était lugubre et sale. Qu'à cela ne tienne, Lucie organisa un picoulet effréné qui redonna la bonne humeur à chacun. " "Il Ya deux choses dans cette maison, écrit Lucie en juillet 1946, les miracles et les problèmes; elle est construite sur des miracles et nous sommes entourés de problèmes: le logement, la façon de nourrir la main d'œuvre, l'organisation, et les mille questions qui se posent à chaque instant et demandent une décision urgente."
Daniel Mottu: "Certes, les années qui suivirent ne furent pas toujours rectilignes. Il y eut aussi pour elle des moments de doute, les déceptions, les crises. Dans les années soixante, lors d'un de ces passages à vide, Lucie alla travailler en Espagne. " Lucie espérait y travailler comme réceptionniste dans un hôtel, grâce aux langues qu'elle maîtrisait. Elle fit des offres dans 43 endroits. C'est comme lingère qu'on l'engagea. Voilà ce qu'elle écrit à cette époque: "Humiliant, insécurité. Aucun système, tout mélangé, pas de sac à pincettes. Arrivée linge. .. de toutes sources. Trier (dégoûtant), compter, laver, sécher, plier, repasser, plier. .. Pieds enflés, machines toujours en panne, dormir à l'office, seaux, poubelles, linge sale, bouteilles et passage de tous. Un chrétien doit-il accepter ou lutter? Pas venue pour organiser un travail mais trouver et donner Dieu. Pas critères sociaux suisses mais Jésus dans mon cœur." C'est là que Lucie apprendra l'espagnol. C'est là aussi qu'est né son amour pour ce pays. Comme en témoignent certains des textes encadrés, Lucie pouvait être amie avec des gens de plus de 30 ans ses cadets.
C'était mon cas. J'ai fait mon premier voyage avec Lucie en Espagne justement. J'avais moi aussi traversé une crise, après des fiançailles rompues. Avec une amie française, nous sommes parties dans sa voiture jaune et j'ai découvert alors les trois cartons qui ne quittaient pas le coffre de cette voiture: l'un contenait de la documentation sur le Réarmement moral, un autre les outils d'éventuels dépannages et le troisième tout ce qu'il fallait pour la baignade, pour ne surtout pas manquer une occasion de faire un plongeon dans la grande bleue. Cela résumait Lucie.Avec elle on ne joignait pas l'utile à l'agréable, tout devenait agréable. Je suis aussi allée avec elle au Portugal, retrouver des jeunes qui étaient venus fièrement à Caux après la révolution des œillets dans leur pays. Plus tard, ce fut l'Inde.
Son inlassable intérêt pour les gens, sa curiosité de tout faisaient de Lucie une personne appréciée de tous. Et pour citer encore la pasteure: "Ces chemins d'espérance et de lumière, elles les a ouverts pour que d'autres les suivent après son départ. Ils sont ouverts, et ils attendent nos pas, les vôtres, vous qui l'avez bien connue, pour que vous poursuiviez ce qu'elle a entrepris, à votre mesure ... Les vôtres, vous sa famille, qu'elle a tant aimée et à qui elle a tant donné, et aussi les miens à moi la pasteure qui n'ai pas eu la chance de la connaître vraiment".
Suzl de Montmollin, Cortaillod Lucie était ma meilleure amie depuis les années passée ensemble en Italie. Nous avons vécu les joies, les peines, les succès, les échecs, les moments de pure beauté en regardant les beaux paysages, les églises, les monuments historiques. Il y a eu pendant ces années passées avec l'équipe du Réarmement moral en Italie les rencontres avec les grands de ce monde: dans la société, la politique, l'église, les syndicats et puis la rencontre avec lesfemmes travaillant dans les rizières, les ouvriers agricoles, de la métallurgie, les pêcheurs de Calabre, les acteurs professionnels et tant de familles. Il y avait chez Lucie le don complet de sa vie qui la rendait libre et en même temps profondément ancrée en Dieu.
Montserrat Amano, assistante de son mari acupuncteur, Blanes, Espagne J'ai fait la connaissance de Lucie il y a plus de 30 ans lors d'une conférence à Caux. Elle parlait parfaitement l'espagnol et devint mon infatigable interprète et guide en Suisse. Grâce à elle, j'ai compris ce qu'étaient et ce que signifiaient vivre les critères du R.M Après 17 ans d'études dans un collège religieux, j'ai découvert que Dieu n'était pas au ciel mais sur la terre. En sa compagnie, tout était surprenant et imprévisible ou tout àfait naturel à la fois. Parler avec elle, c'était" parler sans penser" avec le cœur, cela m'aidait à résoudre mes problèmes et à me sentir comme neuve par la suite. Elle avait le don d'écouter et de laisser décider librement. Juste avant mon mariage avec un Japonais, à la veille de mon départ pour son pays, elle m'a dit: "Monserrat, apprécie le Japon, ne le compare jamais à un autre pays. " Ses paroles m'ont sauvées lors du choc culturel durant ma première année là-bas.
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